
L’envolée du cours de l’or déclenche une ruée sans précédent dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, bouleversant des équilibres économiques et environnementaux fragiles.
Mercredi 27 novembre 2024, 9 heures passées de quelques minutes : des colonnes de convois spéciaux convergent vers le Parc des expositions, situé au sud d’Abidjan. Parmi les nombreux véhicules diplomatiques, certains arborent des drapeaux aux couleurs de la Russie, de la République islamique d’Iran, des États-Unis ou de la Chine ; coupant la route aux visiteurs ordinaires venus pour la première édition du Salon international des ressources extractives et énergétiques (Sirexe). À l’intérieur de ce curieux bâtiment en forme de soucoupe, une vingtaine de délégations sont accueillies par Alassane Ouattara en personne. La présence de la Norvège, érigée en invitée d’honneur, trahit une ambition tout assumée par les autorités ivoiriennes : capitaliser sur les ressources extractives pour soutenir son économie, à l’image de ce pays scandinave qui doit beaucoup aux hydrocarbures.
Si l’engouement est palpable, c’est que par-delà les stands de présentation, ce grand raout justifie la rencontre de centaines d’investisseurs, avec des acteurs miniers de premier plan. Dans une vidéo promotionnelle grandiloquente, la voix féminine censée incarner la Côte d’Ivoire donne le ton : « Mes tréfonds regorgent de métaux précieux, le temps est venu de les révéler au monde. » En filigrane, l’or est dans toutes les têtes, à commencer par celle du vice-président de la République Tiémoko Koné, qui se félicite d’une production multipliée par quatre en l’espace d’une décennie. Depuis la fin de la crise politique de 2010-2011, le pays se trouve en effet au centre d’une véritable frénésie visant à extraire ce métal jaune, dont le cours est en constante augmentation. Pour l’année 2024, la production d’or déclarée devrait dépasser les 55 tonnes métriques, permettant à la Côte d’Ivoire de grappiller quelques places dans le top 10 des leaders de cette industrie à l’échelle du continent.
Les géants miniers en embuscade
Grâce à un gouvernement volontariste, tous les signaux sont au vert pour développer la filière aurifère en Côte d’Ivoire. Un message reçu cinq sur cinq par les géants d’un secteur traditionnellement dominé par les Canadiens, Australiens et Sud-Africains sur le continent. Au cours des deux dernières années, quatre projets industriels sont ainsi rentrés en production, portant au nombre de quinze les mines d’or ivoiriennes exploitées de manière industrielle. Le précieux minerai est d’ailleurs la principale cible des explorations menées dans le sous-sol ivoirien ; en 2023, 174 permis d’exploration ont été délivrés à diverses sociétés chargées d’évaluer le potentiel de milliers d’hectares de terres parfois encore vierges. Il faut avouer que l’enjeu est capital pour les autorités de Côte d’Ivoire qui peinent à recouvrir l’impôt sur la plupart des activités économiques. Le soutien à des industriels occidentaux, pour beaucoup cotés en Bourse, se veut comme une garantie à la fois financière et de contrôle d’une ressource marquée par l’exploitation illégale.

Selon le ministère des Mines, du Pétrole et de l’Énergie, le secteur minier génère annuellement plus de 525 millions d’euros de recettes fiscales sur un total prévisionnel fixé à 9 milliards d’euros d’ici la fin 2024. Une contribution qui devrait continuer de gonfler dans un futur proche. Car sur le terrain, les entreprises extractivistes se livrent bataille à coups d’effets d’annonce. En mai dernier, le canadien Montage Gold revendiquait « la découverte d’un important gisement aurifère de classe mondiale » au nord-ouest du pays et estimé à 155 tonnes. L’entreprise table sur une entrée en service fin 2027. À la veille du Sirexe, Ian Cockerill, directeur général de l’anglo-canadien Endeavour Mining, surenchérissait – au terme d’une entrevue avec Alassane Ouattara – en révélant son projet d’exploiter un gisement capable de produire 11 tonnes métriques par an à la lisière du Ghana.
En marge de ces mastodontes, d’autres acteurs plus discrets mais non moins importants déroulent un argumentaire bien rodé : « Plus d’exploration, plus de mines, plus de revenus pour l’État », résume Désiré Aboukan devant un auditoire conquis. « Il faut favoriser les compagnies agressives en termes d’exploration », poursuit plus loin le président ivoirien de Koulou Gold, une société de droit canadien qui étudie le potentiel du projet Sakassou, un permis jalousement gardé dans le centre du pays et surveillé de près par la concurrence.
Endeavour Mining, incontournable
Si les experts s’accordent aujourd’hui à dire que le sous-sol ivoirien renferme un tiers des réserves d’or connues en Afrique de l’Ouest, Endeavour Mining n’a pas attendu 2024 pour investir au pays des éléphants. Contrairement à bon nombre d’acteurs historiques, la multinationale a pourtant vu le jour tardivement, sous la forme d’une banque d’investissement spécialiste des mines à la fin de la décennie 1980. La crise financière de 2007-2008 a précipité le changement de cap, précise-t-on en interne. En pratique, la société a commencé ses activités extractives à compter de 2009, pariant sur le retour de l’or comme valeur refuge dans une économie mondiale fragilisée par les subprimes. Son implantation sur le continent sera facilitée par le rachat d’Etruscan Resources, un autre acteur canadien alors solidement implanté dans six pays de la sous-région. Quinze ans plus tard, Endeavour, devenu incontournable dans le paysage aurifère, se targue d’être le premier producteur d’or en Afrique de l’Ouest.

Avec la mise en service récente du site de Lafigué, l’entreprise – qui compte désormais deux immenses mines sur le territoire ivoirien – concentre tous les regards avec une production annuelle fixée à 14 tonnes d’ici 2025. Côté opérationnel, on se réjouit d’un climat des affaires favorable, avec une durée moyenne de huit ans entre l’exploration et la mise en service d’un site contre presque quinze années pour leurs concurrents. Preuve s’il en est de la course effrénée de l’entreprise. Malgré des ambitions franches, la discrétion reste de rigueur quant aux autres dossiers sur la table : impossible pour l’heure de connaître le nombre exact de projets à l’étude. Les équipes communication préfèrent mettre l’accent sur le bénéfice pour la Côte d’Ivoire. En 2023, le cumul des taxes, redevances et dividendes perçus par les autorités s’élevait à 124 millions d’euros, selon Endeavour Mining.
À Ity, un incident qui interroge
Ce développement fulgurant n’est cependant pas exempt de quelques zones d’ombre. À la fin du mois de juin 2024, la mine d’Ity, proche du Liberia, faisait l’objet d’un incident dont les contours sont toujours incertains. En cause, la défaillance d’une vanne ayant engendré une fuite de 3 000 litres d’une eau boueuse polluée au cyanure, élément central pour la transformation de l’or. Questionnée sur le sujet par notre rédaction, Endeavour affirme que le risque a été « circonscrit rapidement ». Dans les faits, la production de la mine n’a été suspendue que quelques heures. Si les équipes reconnaissent une faible intoxication de presque 200 personnes, elle rejette en bloc les accusations de pollution massive du fleuve Cavally, regrettant un « emballement médiatique ». En interne, on affirme avoir procédé à 535 consultations médicales à la suite des symptômes fiévreux et des vomissements constatés auprès des communautés locales.
Bien que les effets d’une exposition au cyanure à faible dose restent mal documentés sur le plan scientifique, une certaine psychose semble s’être installée dans les villages adjacents à la mine. L’information, d’abord relayée par les autorités, faisant état d’une mortalité anormale des poissons dans le fleuve a semé un doute compréhensible parmi une population apeurée. Une source indépendante, revenue tout récemment de la zone concernée, confirme que certains individus continuent de se méfier d’une eau courante jugée dangereuse, achetant à leurs frais des ressources alternatives. Début novembre, Endeavour inaugurait un nouveau puits et devrait réhabiliter trois autres pompes réservées à l’acheminement d’eau potable dans la zone. Concernant la demande d’un bilan définitif, l’entreprise préfère renvoyer la balle au Centre ivoirien antipollution (Ciapol), qui, malgré des analyses menées il y a déjà plusieurs mois, tarde à publier ses conclusions. Une situation qui interroge une société civile en mal d’explications.

De retour au Sirexe, une question semble toutefois être éludée : celle de l’orpaillage clandestin. À quelques heures de route d’Abidjan, la cartographie des acteurs est toute autre. Les industriels, relégués au rang de minorité, côtoient d’innombrables équipes informelles affairées sur des sites connus de tous ; à peine cachés par un bout de forêt. Cette course à la recherche de l’or draine des milliers d’individus sur son passage. Assise à l’arrière d’un taxi-brousse, Salimata vient de parcourir plusieurs centaines de kilomètres pour travailler au niveau des comptoirs qui achètent le précieux métal. Prise dans ce tourbillon d’espoir, elle aussi vient tenter sa chance.
*Les prénoms ont été modifiés pour garantir l’anonymat des témoignages.
Le Point